Marcel Van Eeden
A burst of revelry from the forecastle
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A burst of revelry from the forecastle

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Depuis 25 ans, l’univers de Marcel Van Eeden s’inspire de clichés pris avant 1965, l’année de sa naissance. Ayant produit des milliers de dessins réalisés à partir de photographies dans son style personnel, il utilise des crayons et pastels noirs pour obtenir des tons profonds et des ombres parfaites.

L’acte de copier l’image – sa manière de saisir une lumière précédant sa venue dans ce monde – donne à Van Eeden la possibilité de s’« approprier » l’image, de la cataloguer en quelque sorte, et d’alimenter une encyclopédie illimitée de sa « mort » : le temps où il n’existait pas, le temps qui continuera d’advenir après sa disparition. Parce qu’elle ne cesse de voyager à travers l’espace et le temps, la lumière, notamment celle précédent 1965 et qui illumine les dessins de Van Eeden, est toujours là, quelque part.

À ses débuts, le dessinateur reproduisait directement l’image choisie. Rapidement, il s’est mis à inventer une histoire, utilisant la technique des bandes dessinées et des cartoons, en combinant texte et image. Tous les éléments – texte, nom de ses personnages, scènes représentées – émanent de la même banque d’images antérieure à 1965 mais juxtaposés en une nouvelle trame narrative. Même si les multiples séries de dessins se lisent comme des bandes dessinées, souvent la vignette et l’image ne se font pas écho. L’un n’est pas une illustration de l’autre.

Tous les dessins de l’artiste sont le produit d’un technique semblable, le résultat d’un coup de crayon allant du tracé précis et minutieux à des traits plus étendus, aux accents impressionnistes, toute la typographie étant aussi réalisée à la main.
Certains dessins au trait plus relâché dévient de l’original : on y devine l’épais coup de crayon, les mots y sont à peine lisibles. Souvent, c’est la ville natale de Van Eeden, La Haye, qui figure en arrière-plan des dessins, reflétée par des immeubles à cinq étages typiques du modernisme hollandais des années cinquante. De ces derniers se dégage une nostalgie, celle d’une jeunesse hollandaise insouciante, inscrite dans la mémoire collective du pays. Cependant, l’épaisseur des tracés qui sillonnent ces œuvres fait surgir un ton résolument sombre et mélancolique.

À travers les années, le travail de Van Eeden s’est décliné en plusieurs étapes : des dessins uniques, des séries, puis des scènes aux compositions faites de motifs multiples essaimés sur le papier. Ces dessins ne présentent pas de schéma narratif précis et plongent le spectateur dans la lecture d’un puzzle dont la technique témoigne d’un travail iconographique précis, partant de l’étude de chaque élément distinct, sans qu’un sens général ne se dégage. Le visage d’un clown rieur, le châssis d’une voiture, un couple vu de dos, un visage masculin et une pancarte avec des chiffres, tout peut se mêler. D’apparence incompréhensible, une énigme, avec cependant une vue kaléidoscopique et cinématique de la réalité.  

Plus tard, Van Eeden a quitté le cadre du dessin, ainsi qu’en témoignent une série de toiles et de sculptures, qui viennent s’ajouter aux premières œuvres de l’artiste. Autant de productions qui s’inscrivent encore et toujours dans son imagerie antérieure à 1965. Plus récemment, l’artiste s’est mis à la photo,  un défi dans son parcours artistique. La règle qu’il s’était fixée au départ était simple : chaque image doit dater d’avant 1965. Cependant, la photo ne permet pas un retour dans le temps. Les clichés qu’il prenait s’inscrivaient nécessairement en 2018. Ce travail s’inscrit donc en rupture avec le concept cultivé pendant 25 ans par Van Eeden.

Mais est-ce une rupture ?

Pas pour Marcel Van Eeden. La photo, nous rappelle-t-il, est un procédé mécanique, comme l’est, par bien des aspects, la reproduction de photos en dessin, même si la prise de vue se fait par le biais d’un appareil muni d’un viseur, et que le dessin s’effectue à la main. « Mon acte de dessiner est de la photographie, en quelque sorte. Je prends des photos avec ma main”» nous dit Van Eeden. « Après m’être occupé de manière intense à travailler des clichés pendant 25 ans, à les étudier afin de les copier, j’ai senti le besoin de reproduire moi-même le monde par un procédé mécanique. Tout comme les personnes qui avaient pris les clichés que je reproduisais, en somme. Et puisque j’ai moi-même pris beaucoup de photos plus jeune, il ne m’a pas été difficile de recommencer, à l’aide d’un vieil appareil Leica analogique, dont la technique était, précisément, celle d’hier… »

« Bien sûr, je travaille dans le présent avec mes photographies, mais c’est, finalement, ce que j’ai toujours fait au sein des séries que j’ai produit. J’étais en quête de sujets dans les villes dans lesquelles je travaillais, je cherchais à faire vivre les évènements de mon présent, qui ont constitué la trame des histoires que je racontais. Avec la photographie, je travaille ce qui se présente à moi dans la vie courante. »

Dans ces photos, la présence de Van Eeden est quasiment invisible, il fait une chronique du banal, des situations quotidiennes : des gens qui patientent dans la salle d’attente d’un aéroport (en contre-plongée), le trottoir d’une rue aux Etats-Unis,de vieille vitrines dans une bibliothèque (sans cadrage particulier, en vue latérale), la capture des silhouettes de clients dans un restaurant chinois, le cliché furtif d’une station essence vue de nuit, les pissotières des toilettes des hommes, une vue latérale de l’escalier mécanique d’une gare au crépuscule.

C’est cette manière de dépeindre la réalité de manière oblique qui, paradoxalement, redonne à ses dessins leur intérêt particulier, là où les scènes de vie sont souvent vidées de tout formalisme : on y trouve des gens en pleine conversation, des plans assez vagues de rues quelconques, un gros plan sur le coin d’un vieux bureau, des voitures, des trains, une carte, des fruits, des papiers de bonbons froissés. Parfois, même, deux hommes – coiffés de chapeaux, il va sans dire – croqués dans une scène de mélo hollywoodien.

La vie avant que Marcel van Eeden ne soit né était aussi indistincte que la vie pendant son existence et le restera après son passage. La lumière continue à traverser l’espace, quoi qu’il advienne.

Cette impression de facilité est renforcée par la composition brute de ces photographies. Souvent, elles donnent l’impression d’avoir été exécutées légèrement de biais, prises au niveau de la hanche, par un photographe de passage. Elles rappellent un style cultivé par Ed Ruscha pendant les années 70, dont les clichés de Los Angeles étaient capturés depuis une voiture sur la route, sans que le photographe ne se soit soucié de reproduire l’exactitude des lignes horizontales ou verticales des immeubles qu’il prenait. Une technique photo dite “honnête”.

On pense aussi à Garry Winogrand, le photographe iconique de la rue, qui aida à fixer les normes dans les années 60 et 70. Comme Ruscha, Winogrand ne se souciait pas du cadrage rectangulaire des rues ou des routes qu’il shootait. Certains de ses clichés semblent même avoir été pris volontairement flous, jusqu’à ce qu’on aperçoive un détail ayant probablement captivé l’attention de Winogrand, qui devient ainsi le centre de la photographie, peu importe la hâte avec laquelle la photo a été prise.

Van Eeden se concentre plus sur la création d’une atmosphère générique que sur les détails précis d’une situation. Cette atmosphère est créée par les contrastes de noirs et de blancs mêlées avec des gris « délavés ».

Là encore, Van Eeden se situe à rebours des conventions, saturant certaines parties de ses photos par des ombres noires. Celles-ci donnent à ses œuvres photographiques la même qualité, sombre et mélancolique, que l’on retrouve dans nombre de ses dessins. Le jeu d’ombre et de lumière, le va-et-vient entre le blanc et le noir (et le gris), dans les photos, tend à reproduire le jeu de lumière (et d’ombre) de ses dessins. Photos et dessins sont donc complémentaires.

Un jour, Van Eeden a déclaré s’identifier à un amateur, à celui qui exécute son travail sans se soucier des modes ni des attentes. Et si cette “chose”, ce travail, ne voit jamais le jour, reste caché dans une cave ou un grenier, peu importe. Car le véritable amateur fait ce qu’il fait pour son bon plaisir – ou par obsessions, peut-être. Il effectue un acte mécanique, en marche perpétuelle. Comme dans le dessin. Comme dans la photographie.

«Dessiner comme on prend une photo», Robbert Roos, 2018