« La puissance de Paris tient a? sa couleur, devais-je me dire a? nouveau. Le temps e?tait maussade, pluvieux, tout ce qu?on apercevait e?tait d?une incroyable et accablante grisaille. Jusqu?a? maintenant, je n?ai retrouve? les couleurs de hautes montagnes qu?a? Paris. Une enseigne publicitaire e?tait encore allume?e et cette lumie?re brillait de tout son a?me dans le jour tout juste leve?. »
Ludwig Hohl, Paris 1926 ? La Socie?te? de minuit, Attila, p. 33
L?artiste ne?erlandais Marcel van Eeden (1965) de?veloppe depuis des anne?es un travail d?une profonde cohe?rence visuelle et conceptuelle, mue par une volonte? de documenter par le transfert de l?archive au dessin, ainsi que par l?association d?e?le?ments vernaculaires, architecturaux, de calligraphie ou de paysages, les lumie?res et les expressions de passe?s qui lui sont ante?rieurs. Travaille?es principalement au crayon et au pastel noir, ses compositions au caracte?re contraste? et ombrageux, parfois trouble?es par l?irruption de touches de couleurs vives, questionnent formation, permanence et mate?rialite? de la me?moire et des images. Son ?uvre dresse lignes et ponts entre diffe?rentes ge?ographies et temporalite?s re?volues. Elle explore les principes de manifestation et de re?manence, et se constitue en un corpus dense et physique, qui vacille de l?archive a? l?expressionnisme.
Pour sa quatrie?me exposition a? la Galerie In Situ ? fabienne Leclerc, Marcel van Eeden pre?sente un ensemble de dessins, collages et photographies inspire? de la figure, de la vie et des mots de l?auteur suisse Ludwig Hohl (1904 ? 1980). De Paris a? La Haye, le regard de l?e?crivain se traduit en notes et journaux qui, de fragments en fragments, nous emme?nent comme le long d?un fleuve, au fil de me?andres nocturnes et marginales. Fide?le au caracte?re de?lie? des e?crits de Hohl, la se?rie que lui de?die van Eeden reve?t une dimension composite, alternant paysages urbains, inte?rieurs, collages et photographies.
Les dessins, comme des incantations, font e?merger d?une lointaine lumie?re oublie?e l?ombre de carrefours parisiens ou d?obscurs inte?rieurs de La Haye - ou? Hohl ve?cut et d?ou? van Eeden est originaire. Certains s?accompagnent de dates et de fragments de phrases, qui font autant office d?indices que d?e?nigmes, tire?s de l?ouvrage Paris 1926 ? La Socie?te? de minuit qui retrace les quelques mois passe?s a? Paris par Ludwig Hohl. S?appuyant sur des photographies d?e?poque, van Eeden trouble l?origine de ces images, qui se retrouvent suspendues entre nature documentaire et paysages mentaux.
Ailleurs, un voyage parisien de Marcel van Eeden, qui se tient presque comme une expe?dition, une recherche, re?sulte en un ensemble de traces photographiques au rendu brut et incarne?, re?alise?es selon une me?thode de tirage dite « a? la gomme » datant du XIXe? sie?cle. Les petits formats, disperse?s au fil de l?exposition, se jouent d?associations et de collages de substrats he?te?roclites et parfois anachroniques, pris comme des e?clats de me?moire. E?le?ments factuels, de?tails, visages ou extraits litte?raires s?organisent pe?le-me?le en des narrations abstraites et e?pineuses qui s?offrent a? l?interpre?tation du regardeur.
Au travers de ces diffe?rentes se?ries, l?exposition re?fle?chit aux formes de reconstitution du passe? et du sensible, ainsi qu?a? leur me?diation. Dans un travail aux contours spectraux et ou? de nombreux de?tails sont efface?s ou perdus, Marcel van Eeden nous confronte aux limites de la transmission et de la perception. Se pose de fac?on re?currente la question du pre?sentisme, de l?existence et de la re?alisation d?une image comme incarnation d?un pre?sent, ainsi que de ce qui constitue une vision ou traduit une expe?rience. Dans ses dessins, le passe? n?est pas simplement rappele?, il est convoque? et, par-la?, manipule?, dans un geste qui de?passe l?historique et lie subtilement l?e?ternel au fugace et au de?risoire.