LARS FREDRIKSON, ce colosse que Jacques Dupin surnommait "l'énergumène de la transparence", approche la peinture de ce pas de colombe dont, nous dit Nietzsche, arrivent les choses importantes.
Avec sa douceur violente, il tente d'exciter en nous une sensibilité sans affect, émotion ou sentiment. Une sensibilité pure, comme retenue par l'ongle.
Peinture qui n'a rien à dire, rien à exprimer, sans concession au goût ni au rythme ni à l'harmonie ni à la composition. Tout y est présence incohative (du latin inchoo, are, commencer).
À la reproduction, rien d'elle ne passe. Le catalogue ne peut être de quelque utilité qu'à ceux qui s'étant trouvés en présence de l'oeuvre, peuvent alors y rêver longuement. La photographie saisit ce qui est saisissable c'est à dire le passé; l'inchoation ( l'"en train d'être") est insaisissable puisqu'inachevée.
D'autre part, elle implique le vide. L'oeuvre se crée dans la mesure où elle crée l'espace vide de son propre développement. Ce vide lui aussi inchoatif ne peut rien avoir de commun avec l'infini illusoire de la page ou la toile blanche, infini sans commencement possible c'est à dire sans présence. La création a un objet. Il s'agit donc d'un vide concret toujours tenu par des empâtements infimes, des enfoncements à peine perceptibles du papier. En somme un vide-matière pour reprendre un concept de Jean Degottex qui le créait à sa manière.
Matisse vole. Fredrikson s'envole.
Extrait "D'une peinture inchoative" de Marcel Benhamou, 2017