J'ai longtemps travaillé uniquement en noir et blanc et me suis tout d'abord convertie à la couleur avec peu d'enthousiasme. J'ai pris plusieurs photographies en couleur avant de commencer à les exposer (ce qui s'est passé à la fin des années 1990). Outre l'intuition que j'aurais certaines choses à dire en couleur que je ne pouvais exprimer en noir et blanc, ce sont les effets imprévisibles de la péllicule couleur qui m'ont convaincue de commencer à l'utiliser.
Dans un premier temps, il m'a semblé que la pellicule noir et blanc offrait un avantage décisif (j'y demeure attachée), notamment parce qu'elle laisse au spectateur le soin de compléter l'image. Mais ce qui m'a fascinée dans la photographie couleur, c'est l'absence de correspondance entre les couleurs des objets ou des lieux tels qu'ils apparaissent sur l'épreuve, et celles que l'on a perçues et dont on se souvient.
Pour une personne qui s'intéresse d'aussi près que je le fais aux changements d'apparence des objets lorsqu'on les observe de l'extérieur avec insistance, cette particularité me paraissait digne d'être explorée, et semblait même devoir l'être. Lorsque j'eus renoncé à l'idée que la pellicule couleur traduisait fidèlement le réel et que je remarquai qu'elle pouvait même donner à un simple mur blanc une variété d'apparences, un nouveau champ d'exploration s'ouvrit à moi. J'en vins à penser que ces inexactitudes étaient les bienvenues, qu'il ne fallait pas les corriger, mais plutôt les accueillir et les souligner.
Cette photographie illustre particulièrement bien mon propos. D'où vient cette lumière rose saumon sur les portes latérales de la pièce ? Qui sait ce qui la produit et la raison de sa couleur si particulère? On pourrait presque imaginer qu'un artiste qui emploie des filtres à projecteurs scéniques a travaillé là juste avant que je ne prenne la photo. Et cet éclat de lumière blanchâtre, qui transparait à travers le rideau bleu, est lui aussi étrange. La lumière est trop bleue pour être celle du jour. Quant à la forte lumière dans laquelle baigne le carrelage, il semble que ce soit celle du soleil, mais il n'est pas du tout certain que ce soit possible.
Finalement, que signifie l'image de ce chien de garde en noir et blanc, plus grand que nature, qui figure au-dessus de la porte du milieu ? On ne peut certainement pas dire qu'elle rende la photographie plus compréhensible, ou nous informe sur ce qui s'est passé et continuera de se passer dans ce lieu.
Catalogue "Lynne Cohen - Faux Indices" - Exposition au Musée d'art contemporain de Montréal - du 7 février au 28 avril 2013 / Lynne Cohen & François LeTourneux (Page 18-19)